Edito
Intriguées par la diversité de langues dans laquelle on publie de la littérature jeunesse en France, nous avons croisé des questions idéologiques et des problématiques humaines si cruciales que le dossier en a pris un volume inattendu ! Littérature multilingue pour enfants plurilingues : pédantisme à utiliser 2 mots a priori de même sens ? Où sont alors les polyglottes ? On avait pensé intituler Pour un bilinguisme précoce… Et quid du problème des migrants allophones ?… Ces termes loin de renvoyer à d’abstraites questions lexicales recouvrent en fait des réalités lourdement chargées d’affects et de valeurs symboliques. Est plurilingue l’individu qui parle plusieurs langues, sa langue maternelle comprise. Est multilingue telle société, tel territoire ou tel contexte, où coexistent des langues diverses. Ainsi, le Royaume Uni est multilingue, à cause des divers flux migratoires, mais les Anglais sont les moins plurilingues qui soient, des observateurs s’inquiètent de ce que l’apprentissage des langues y est en chute libre, les jeunes Anglais sont en train de devenir monolingues… Voyons, le monde entier n’est-il pas censé parler anglais ?! Erreur. 50% des Européens sont monolingues (comme 97% des Japonais ! ) dans une Europe pourtant multilingue : 23 langues officielles, près de 60 langues parlées. La France est multilingue…mais ne veut pas le savoir, attachée à sa langue unique vue comme ciment de l’unité républicaine. C‘est dans ce contexte que le concept de plurilinguisme a pris de l’importance ces dernières années. Ainsi le Conseil de l’Europe veut « promouvoir le plurilinguisme en contexte pan-européen ». L’avenir s’ouvre aux jeunes plurilingues capables d’échanger avec leurs semblables dans une compétence communicative où les langues sont en corrélation et interagissent. Le psycholinguiste Gilbert Dalgalian montre que c’est le bilinguisme précoce qui en crée les conditions favorables. Bilingue : même ce mot simple révèle une réalité qui l’est moins. Ainsi un enfant français avec parent anglophone ou germanophone sera qualifié de bilingue, alors que l’enfant de famille immigrée algérienne ou turque, on le dira plutôt allophone ( qui ne parle pas le français en langue première), preuve qu’on ne le reconnait pas comme bilingue, sa langue familiale n’étant vue que comme obstacle à son intégration. Or, ce dossier montre justement que tout bilinguisme, quel qu’il soit, développe la capacité langagière, stimule le développement intellectuel, d’autant plus s’il est là avant 7 ans quand les langues s’ancrent dans un contexte affectif, un environnement sensoriel et symbolique dans lequel chaque langue fait levier. Le cerveau, lui, se moque que les langues soient dominantes ou minoritaires... Pour les langues régionales « minoritaires », le bilinguisme combattu avec succès par les « hussards noirs de la République » début XXe est aujourd’hui négligé. C’est la société civile fondée en associations qui, dans toutes les régions, oeuvre à la réappropriation des langues et cultures associées. Nous avons ouvert nos colonnes à leur action opiniâtre ; leur volontarisme comme leurs difficultés et découragements transparaissent dans tous les articles. Mais tous ont compris que c’est avec les plus jeunes qu’il faut travailler, que leur bilinguisme familial ou régional est gage d’avenir et non repli sur le passé. Il faut commencer très tôt. Dominique Rateau montre que la lecture d’albums est la clé de cette compétence communicationnelle bilingue. Une littérature jeunesse existe dans toutes les langues, des éditeurs régionaux publient des livres sans cesse meilleurs, des enseignants expliquent comment ils les utilisent, Yvanne Chenouf trie des albums français propices au travail d’intégration des allophones. Et les langues de l’immigration sont tout aussi concernées, le travail de l’édition Le Port a jauni bilingue arabe est enthousiasmant. « Ma maitresse a dit qu’il fallait posséder la langue française …» mais la langue des parents, de la région où on vit ou du pays d’où on vient n’y fait pas obstacle. Au contraire. Alors, vive le slogan de NVL : Lectures pour tous, jamais trop, jamais trop tôt.
Claudine Charamnac Stupar, présidente NVL-Centre Denise Escarpit
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