Edito
Habiter le monde : NVL poursuit sa réflexion sur l’écopoétique en interrogeant le sens de cette formule galvaudée d’être si répétée. Faut-il un complément à ce verbe ? « Habiter, c’est faire une expérience, celle du Monde, autrement dit une expérience de soi et des autres qui passe par ses lieux et ses territoires. » (Olivier Lazzarotti) Chez moi/chez nous ? ces locutions sont devenues récurrentes lorsque la récente pandémie a invité chacun à « rester chez soi » - ce qui implique d’avoir un chez-soi, présupposé pour le moins hâtif… et ce qui ne manque pas de faire bouillonner le chaudron de la xénophobie et éclater un « Rentre chez toi » ou « Pas de ça chez nous ». Et, une fois les humains cloitrés et les espaces publics vidés, voilà que des animaux, sauvages ou d’ordinaire peureux, se croient chez eux et s’ébattent dans ces lieux délaissés… chez nous, quoi ! Puissance et vitalité de la littérature jeunesse qui trace son sillon original : après de riches documentaires, informés, vite dépassés ; après, suivant sa pente, des œuvres moralisatrices, injonctives voire catastrophistes, elle a compris la nécessité de recourir à l’émotion et à la fiction pour concerner le jeune lecteur sur ces questions qui ont des échos politiques au sens large. Jean Autard de l’EHESS montre ainsi que les univers de fiction (tels la fantasy) fonctionnent comme « métaphore ou allégorie du monde contemporain, voire comme modèles simplifiés permettant de comprendre les bouleversements écologiques en cours ». Autour du lien entre écopoétique et création, des étudiantes de l’Université d’Aix-Marseille ont produit de très intéressantes réflexions, nouant l’analyse d’un album jeunesse à la lecture de penseurs actuels de l’écologie : tel l’album Zette et Zotte à l’uzine expliquant rien moins que « Les origines de La catastrophe » ; ou un album de 1974 dévoilant, prophétique et implacable, La Mutation du Paysage telle qu’on la déplore aujourd’hui ; ainsi c’est l’ennui d’Un grand jour de rien qui peut susciter un recours au monde extérieur avant d’être un retour à soi. Quant à Vert une histoire de la jungle, il fait écho à la question du Chez soi des animaux, titre de Vinciane Despret dont Claudine Stupar fait tremplin pour notre réflexion : les humains clament « chacun chez soi » mais les animaux, c’est où chez eux ? Comment cohabiter sur cette terre qui la nôtre, à tous ? Les personnages de Anne Brouillard et Mélanie Rutten que suit Marianne Berissi explorent finement à la fois la puissance et l’évanescence du Chez-moi, lieu de l’intime où circule sans cesse pourtant l’extime : eux aussi découvrent la cohabitation avec tout le vivant. Et si leur émerveillement était la solution ?
Claudine Charamnac-Stupar et Marianne Berissi
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