Edito
Le Garçon a la faculté de s’échapper de son corps quand il rencontre une réalité qu’il n’aime pas : métaphore aussi que ces images d’un enfant pris dans les lignes, dans le silence froid de leur géométrie, comme déréalisé. Surtout dédoublé : l’un est l’être repérable, encore dans les normes et les couleurs de la vie, dissimulant l’autre, le double quasi invisible, lignes brisées. Inatteignable. Certaines lectures feraient du bien, reconstruisant cette unité perdue… C’est l’hypothèse de ce numéro centré sur la réception des livres jeunesse dont certains osent poser des mots sur des maux parfois tus, ou tabous, ou indicibles. Oui, il y a des livres qui nous font mal, à nous adultes, tant nous est insupportable d’y voir ce que nous souhaiterions occulter, la souffrance des enfants, la litanie des malheurs ordinaires et extraordinaires qui les accablent, et la douleur de vivre qui les atteint jusque dans nos cocons. Pourtant Annie Rolland explique les bienfaits pour les adolescents de ces noirs romans sans lesquels « vous ne croyez pas que vous existez »… Deux auteurs, deux éditeurs d’albums évoquent d’émouvants retours de lecteurs. Bouleversants aussi, les témoignages d’une bibliothécaire pénitentiaire et du dessinateur Bast tentant d’ouvrir l’horizon à des mineurs incarcérés « en chienneté ». Enfin, des thérapeutes dévoilent comment ils s’appuient dans leurs pratiques soit sur des contes traditionnels pour soigner des enfants psychotiques, soit sur des albums enfantins pour dénouer le nœud gordien d’un échec scolaire, mais, ce faisant, ils nous disent le rôle essentiel des récits de fiction. N’est-ce pas à la lecture de L’Ile mystérieuse que Guillou - Le Sagouin , l’enfant rejeté considéré comme débile par sa mère- s’émerveille et vibre ? « C’est si beau lorsque Cyrus Smith dit : “ Tu es un homme puisque tu pleures…“ » « Une page ou une phrase nous donne de nos nouvelles et nous prenons soudain conscience d’un vérité intérieure ». Il en va des enfants et des adolescents, comme des adultes. Oui, les livres nous parlent. La musique d’une phrase, la caresse d’un mot, l’histoire d’un personnage, soudain nous émeut, nous met en mouvement dans notre propre histoire. La littérature a ce pouvoir. 1Noémi Schipfer, Le Garçon, Editions MeMo/www.noemischipfer.com Cf images des couverture 1 et 4. 2Jules Verne, L’Ile Mystérieuse 3François Mauriac, Le Sagouin, 1951 4Régine Detambel, Les livres prennent soin de nous. Pour une bibliothérapie créative, Actes Sud, 2015
Claudine Charamnac Stupar et Bernadette Poulou
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