Bouzouk, l’inventivité verbale dans un Moyen-Age de fantasy

Bouzouk, l’inventivité verbale dans un Moyen-Age de fantasy

Gérard Moncomble/ illustr. MazanLa saga d’Achille Bouzouk.

Les Mange-Mémoire, tome 1.

Les fantômes d’Aham, tome 2.

La balade du Trouvamour, tome 3.

Dans les griffes de Ggrok, tome 4.

Editions Casterman. 2000, 2001. Épuisé, disponible en bibliothèque ou chez l’auteur. À partir de 10 ans.

mots-clés : Moyen Âge, fantasy, grimoires, jeux de mots, souvenirs

Maudit soit le voyageur égaré qui tombe entre les griffes de Mmandragore ! Car elle dévore sa mémoire jusqu’au moindre souvenir, avant de la recracher dans ses grimoires. Quatre, précisément, qui seront revendus au plus offrant.
Mais la dernière victime de Mmandragore se rebelle. Rester amnésique ? Plutôt crevailler, par Zout ! Ce jeune homme fougueux s’invente même un nom : Bouzouk ! Un Bouzouk qui entend bien retrouver ses quatre grimoires et savoir qui il est, en vérité.

En 2000, Gérard Moncomble, auteur prolifique pour la jeunesse (entre autres de Manon) proposait la série Bouzouk composée de quatre tomes.

Magnifiquement illustrée par Mazan (pour la collection chez Casterman malheureusement épuisée) qui propose des illustrations noir & blanc au crayon, La saga d’Achille Bouzouk mélange habilement récit merveilleux, fable humoristique avec parfois l’introduction de bulles de BD.

La saga est d’une grande inventivité, bourrée d’humour et de références qui redessinent le roman médiéval pour enfants. Moncomble a inventé tout un vocabulaire. Ainsi, on achète des choses avec des ducons et ceux à qui on a « mangé » la mémoire sont des Gogols : tous les codes du roman médiéval sont respectés avec un détournement des plus modernes. Car l’auteur, derrière un humour très décalé et une intrigue un peu folle, parle de sujets forts, notamment la quête d’identité et l’importance des souvenirs. Si Bouzouk a perdu la mémoire, il est fort probable que les souvenirs qu’il se crée en tentant de la retrouver, façonnent qui il est réellement. Ainsi, l’auteur, tout en se plaçant dans une arène médiévale (le passé), rappelle aux jeunes lecteurs l’importance de s’ancrer dans un présent et d’envisager son futur en choisissant soi-même sa destinée.

Les jeux de mots, sous-entendus, calembours et autres contrepèteries donnent au roman un rythme particulier transformant la lecture plaisir en plaisir des mots. Il faudra parfois creuser les références :  le nom même du héros n’est pas sans rappeler le bachibouzouk qui en turc signifie « sa tête ne fonctionne pas »…

Derrière cet effet délirant, l’intrigue est tout à fait cohérente et reprend les codes d’une quête initiatique d’un petit héros sans-peur à qui on a « chouravé » la mémoire. Si Lobel est le magicien des couleurs, Moncomble est sans aucun doute celui des mots !

Marie Barras

Bibliographie sélective Langue (NVL 227)

Bibliographie sélective Langue (NVL 227)

  1. Brigitte Labbé , Mam’zelle Rouge, Le livre des mots qui parlent d’amour, Glénat jeunesse, 2021,
    cf article poésie CCStupar, NVL 227

 

  1. Henri Galeron, Virelangues et trompe-oreilles, Les Grandes Personnes, mars 2020, 13,50 E- ISBN 978-2-36193-579-5, album + 5 ans, cf article MC Javerzat, NVL 227

 

  1. Marie Colot, Karolien Vanderstappen, Des mots en fleurs, Cotcotcot Editions, 2020 ,

cf article Poésie CCStupar, NVL227

 

  1. Karine Nakkache, Serge Bloch, Homophonies, La Joie de Lire, 2020,
    cf note CCStupar, NVL227
  2. Didier Lévy, Elis Wilk, Qui cache qui ? Bestiaire farceur, Rue du monde, 2020, 15,50 -9782355046391

Quel album original et gai ! Un bestiaire, d’accord, on connait… Les animaux y sont juste tracés sur un blanc pur avec des traits multicolores qui les font vibrer, on aime ! Mais quand on découvre -comme le fera l’enfant- que le mot censé nommer la bête ne correspond pas à l’image, on s’étonne, on veut comprendre … et on rit.   Ainsi, le texte s’intitule  Le renard quand l’image montre un ours !? explication : « Le renard est très malin, sauf quand un ours s’assoit sur lui. Et là, il est surtout très… raplati. »   Ainsi, la grenouille a pour dessin un corbeau ? celui -ci a confondu croasser et coasser, « mais merci quand même pour ta visite », on adooore !

NB Sous l’angle du jeu avec la langue, cet album joue sur le rapport entre le mot et la chose. Ce rapport apparait après lecture humoristique mais logique, cependant à première vue, c’est l’arbitraire du signe qui est convoqué : pourquoi l’ours ne s’appellerait-il pas renard ? Dans Alice, Humpty Dumpty explique que ça dépend de sa seule volonté ! CCS

  1. Patrice Leconte –Faites la tête, Flammarion, 2020, 12€ – 9782081511811. 9-10 ans

De tête de linotte à tête de mule, les expressions comprenant le mot tête ne manquent pas. Selon un principe déjà éprouvé, le récit a pour but d’expliquer l’origine d’une expression. Le ton est drôle ce qui compense le manque d’originalité.

  1. Anne Herbauts – Le point du jour – Matin Minet

L’école des loisirs, Pastel, 2019- 11,50€. 9782211301749 – 4 ans +

Anne Herbauts a construit un petit conte de randonnée à partir du joli terme le « point du jour », expression pas si courante qu’elle prend au pied de la lettre. Et le chat Matin Minet, comme tous ceux auxquels il s’adresse, cherchent un point… C’est l’occasion d’une quête poétique, ce point est-il dans l’oeil doré d’un tigre, est-il une goutte de miel ou une chaussette de nuit trouée ?? Voilà une petite balade en langage à déguster dès potron-minet bien sûr. CCS

 

  1. René Zahnd, Laurent Corvaisier- Anacoluthe ! aventure au cimetière des mots oubliés, Actes Sud papiers, 2019
  2. Alice Brière-Haquet, Sylvie Serprix –La piquante douceur des joues de papa et autres exquis oxymores, Motus, 2019
    cf note CC. Stupar, NVL N°

 

  1. Elsa Valentin, Fabienne Cinquin, Zette et Zotte à l’uzine, Atelier du Poisson Soluble, 2018,
    cf article CC Stupar NVL227

 

  1. Céline Lamour Crochet- Mon abécédaire Les Minots, 2017. 13,90€   9791093893334 Pour tous

Ce superbe album en noir et blanc est une suite de calligrammes, les lettres du mot dessinant l’objet évoqué. Sur ce principe très connu, l’auteur propose des représentations tout à fait remarquables, de vraies réussites graphiques qui réjouiront les amateurs déjà experts. Contrairement à la présentation qui en est faite, et malgré la présentation en abécédaire, je ne pense pas que ce soit adapté à des apprentis lecteurs/scripteurs, qui doivent acquérir un code, soit des lettres stéréotypées par définition, alors qu’ici les lettres débordent leur forme pour se faire patte de jaguar, tête de tortue, grain de raisin ou dessiner un igloo. CCS

  1. Eric Denniel, Fanny Fage, Est-ce huit glaces ??????? Motus, 2016, 12€, 9782360110681,

cf article C Stupar, NVL227

  1. Yann Fastier/ill.Claire Cantais- On n’est pas des moutons

La ville brule, 2016, 13, 9782360120727- A partir de 4 ans

Sur la thématique du droit à penser par soi-même, à affronter tout seul la réalité, à avoir l’esprit critique…, c’est un texte tonique, sans concession. Nous le retenons parce que Yann Fastier y joue systématiquement des expressions métaphoriques autour des animaux, comme celle du titre mais aussi, je ne suis pas un perroquet , je ne suis pas un singe savant, je ne suis pas un cochon qu’on engraisse…le texte file et explicite la métaphore, et bien d’autres finesses, joli travail sur le sens. CCS

 

  1. Mathis/ Ill Aurore Petit, Le petit pou rit- Le petit pou sait,

Les fourmis rouges, 2016, 9,90, 9782369020639 – 9782369020622

Ah ce petit pou rit ici, là et quand il a fini de rire, le petit pou bêle… ! De même, notre petit pou sait…plein de choses ce que chaque page décrit, mais à la fin nous découvrons qu’il ne sait rien ! pas intelligent, cet animalcule ? mais si drôle dessiné de façon hilarante ? le jeu , lui, porte sur le problème du découpage de la chaine parlée dans les titres où on entend aussi bien le petit pourri et le petit poucet. CCS

 

  1. Martin Jarrie, Antonin Louchard, Ceci est un livre , Ed. T. Magnier, 2016,

Cf article CCStupar NVL227

  1. Thierry Dedieu– Pinicho oinichba

Seuil, coll Bon pour les bébés, 2015, ISBN 9791023505290 De 0 à 3 ans

Dedieu et les éditions Seuil persistent et signent avec les cinquième et sixième volumes de la série remarquable Bon pour les bébés. Rappelons qu’ils s’éloignent de la tradition du livre pour tout-petits en proposant de très grands albums avec de gros dessins noirs sur fond blanc et des textes incongrus : Pinicho et oinichba en est l’exemple type. Jeu sur les mots, le texte devrait s’écrire Pie niche haut, oie niche bas, ce qui ne peut faire sens pour un bébé… En effet, le sens n’importe pas, ce qui compte est la musique des sons prononcés par l’adulte, pas moins jubilatoire pour le bébé que ces babillages insensés qu’on leur susurre : c’est bien ainsi qu’il entre dans les sons spécifiques de sa langue. CCS

 

  1. Claude Ponti – L’affreux moche Salétouflaire et les Ouloums-Pims

Ecole des loisirs, 2015. 18,50€. ISBN 9782211226189 – 4 ans et plus

L’histoire : celle d’un monde dominé par le Salétouflaire qui a arraché les rayons du soleil, d’un monde étouffé sous son « horribileuse vile poussière ».  Enfermés chacun dans leur maison sous terre, deux semblables et voisins, Paloum-Pim et Kobaloum-Pim, ne se connaissent même pas. Ils se découvrent, se soutiennent, sauvent le soleil et le monde du monstre Salétouflaire et forcément, ils s’aiment… Les dangers de la planète, le besoin de s’ouvrir à l’autre, la force de l’entraide : des thèmes bien ancrés dans l’actualité, c’est plutôt nouveau chez Ponti. Mais, égal à lui-même, au plaisir de ses fans ou au dam de ses détracteurs, il remplit les pages de sa folle créativité linguistique : « plus que bien c’est bisouticalinouchoupinet ». CCS

 

  1. Magali Bardos – Garry ry ry

L’école des loisirs, Pastel, 2014, 12.50 E, 9782211216005, 3 /8 ans

Album malin pour jouer avec les mots, très tôt, pour s’amuser, pour le plaisir, pour découvrir et pour y revenir, Garry ry ry, Modou dou dou. Mais il y a aussi une narration pour les plus grands. Une histoire d’amitié où le plus fort n’est pas celui qu’on croit, autour d’une traque déroutante, cette voix qui répète après eux la fin des mots, sauf quand ils sont tout au sommet de la montagne. « Cette fois, la montagne est muette » et s’offre alors une minileçon d’acoustique. Par la preuve. L’auteure-illustratrice avec deux silhouettes tracées du bout du pinceau, Garry le lion et Modou le lapin, dans un décor de montagne ocre et brun en aplats, concentre l’attention du lecteur sur les mots, les syllabes prononcées et leur taille sur la page qui varie avec leur intensité. L’écho qui décroit. Et ce mystère que les deux amis dans une entraide efficace vont essayer de percer. Lecture à plusieurs niveaux pour jouer avec les mots, les sons et la nature. MDR

 

  1. Christian Bruel, Nicole Claveloux, Alboum, Thierry Magnier, 2013, 11 E, 9782364742710

Cf article MC Javerzat , NVL227.

 

  1. Célia Galice, Leroyer/ ill. Amélie Falière –Qu’est-ce qui mijote dans ma marmite à mots ?

Bayard Jeunesse, 2013. Poésie à partir de 6 ans.

Sous le parrainage de Jacques Roubaud, un ouvrage dédié à tous ceux qui aiment savourer la langue et les nourritures terrestres ! Fruits et légumes, pain et gâteaux à satiété, avec quelques recettes de mots insolites.

 

  1. Olivier Douzou, Frédérique Bertand – Poney, Truite, Ours, Teckel, Truite, Zignongnon, Les comptines en continu, Le Rouergue 2013

Cette collection se présente comme des comptines modernes, et s’adresse à des enfants à partir de 2 ans ! Certaines ne sont pas très drôles : la Truite qui finit sur la table !!! l’Ours qui veut rentrer dans sa cage pour se protéger de la pluie (humour très décalé !), le Teckel basé sur l’esprit de contradiction du chien qui fait toujours l’inverse de ce qu’on lui demande, Poney qui, quand il sera grand, deviendra une jument ! Enfin le Zignongnon serait la plus intéressante en ce qui concerne la créativité verbale:

Le zignongnon pour un non : Pour un oui fait tout à l’inverse./ Zignongon n’est pas toujours migoui,/ On lui donne son nonstiti,/ Il pleure à verse et veut sa peluche gueoui/ Quand le zignongnon est grogoui, pour le faire sourire/ C’est le pompom, on épluche un oigoui./ Et là tout le monde dit : « c’est innon ce qu’il est trogoui ce zignongnon »

Il s’agit bien sûr d’inversion des syllabes oui et non. Original et drôle. Mais avant de pouvoir jouer sur les mots, faut-il d’abord les comprendre : mignon, ouistiti, guenon, grognon, oignon, inoui, trognon… ! improbable pour l’enfant de deux ou même quatre ans ! Les illustrations en revanche sont très intéressantes dans un style un peu surréaliste et des gammes de couleurs très originales. Janie Coitit Godfrey

  1. Gauthier David/ill. Amélie Fontaine- Les animaux manient les mots

Actes Sud, Hélium, 2013, 9782 330016609, à partir de 8 ans

Ce très grand album est intéressant par sa mise en page et ses illustrations qui mettent littéralement en scène au milieu d’animaux, des phrases, formulettes et jeux de mots divers. Chaque double page propose un type différent de jeu sur les mots, contrepèteries, anagrammes, polysémie, verlan, etc… Peu d’explications, que des exemples, c’est vif, dynamique, pas si facile d’accès mais un feu d’artifice. CCS

  1. Elsa Valentin, Fabienne Cinquin, La déjeunite de Madame Mouche, Atelier du poisson Soluble, 2013 , cf article CCStupar, NVL227
  2. Etsuko Bushiba, Kaori Moro, trad. Urara Shiokawa, Plic Plac Ploc, Didier Jeunesse, Hors Collection, 2012, 13,10E – 9782278070381,
    cf article MC Javerzat in NVL227
  3. Mickaël Escoffier /ill. Kriss di Giacomo – Sans le A

Kaléidoscope, 2012. 15,30 € – 9782877677424. Dès 4 ans

Sans le A se présente comme un anti-abécédaire. En effet, plutôt insolent, cet abécédaire en désordre à qui les mots se font subtiliser des lettres. Pourtant, déroulé à la manière d’un alphabet très ordonné et construit, avec en couverture la consigne implicite et illustrée (un A se fait retirer dans une cuillère de la soupe-alphabet) rappelée en dernière page (de nouveau le bol de soupe et la phrase « sans le Z, l’alphabet n’est pas complet »). La contrainte d’écriture très bien trouvée donne lieu à des associations qui prêteront à rire, qui solliciteront la curiosité et encourageront à observer : On va ainsi trouver des associations parfois carrément incongrues (Sans le F, des moufles sont des moules), parfois pertinentes (sans le D, mon dentier n’est pas entier), des clins d’œil détournés à des proverbes (sans le b, le bœuf fait l’œuf / ou sans le V, le veau tombe à l’eau) Ainsi, dans la même phrase se côtoient un mot et son double dont une lettre a disparu. L’ordre des lettres ne change pas, l’auteur ne fait pas dans la facilité en opérant à une sorte d’anagramme amputé.

Les illustrations de ces associations vont apporter, épaissir, faire travailler les interprétations et interroger le lecteur. On peut citer « sans le G, le gorille reste derrière la grille », car à bien y regarder, le gorille en costume trois pièces a l’air d’être le visiteur contrairement aux humains vraisemblablement en cage ! Drôle et ludique ! Pauline Bestaven

  1. Myriam Picard / Ill Valérie Dumas – Mine de trombines

Les Editions du Ricochet 2012. 12,20 € – 9782352630579. 7/ 12 ans

L’auteure joue joyeusement avec les mots sous la forme de poèmes. Monsieur Dupneu qui se casse la figure avec son vélo, Jonathan le savant qui vole avec son goéland, Charlotte la sorcière et son amoureux Don Quichotte, La mère Ferrari ses souris et son vieux chat et bien d’autres personnages. Myriam Picart nous emmène dans la féérie des mots, un vrai régal. L’illustration est en harmonie avec le texte, pleine de couleurs et d’humour. Chantal Kaeffer

  1. Olivier Douzou et Frédérique Bertrand- Le petit bonhomme pané, Rouergue, 2011. Album 6 ans.

Un petit bonhomme, parce qu’il est pané – pas né ! -, veut connaître son âge. Le récit de sa quête s’inscrit dans une narration ponctuée de comptines où revient avec insistance le vocable « ponti » (du verbe pondre, voyons !). Il arrive ainsi au château d’Anne Hiversère et une bougie le renseigne : c’est son anniversaire, il n’est plus « pas né », mais, attention, désormais il vieillira. Olivier Douzou et Frédérique Bertrand sont complices dans la maîtrise déjantée. Et Claude Ponti, dans un texte en quatrième de couverture, après avoir fait semblant de se fâcher, donne sa bénédiction à cette entreprise, qui est un bel hommage.

  1. Françoise Laurent / Ill Valérie Dumas- Les Mots Toqués

Les Editions du Ricochet. 2009. 12,00 € – 9782352630111. 8 / 12 ans

C’est l’histoire de brioches, de chocolat et de madeleine qui se retrouvent, de saucisses qui s’échappent du bouillon en laissant le cervelas tout seul, de l’asperge qui se moque du navet ou de la tarte aux pommes qui pleure car elle est délaissée. L’auteure joue avec les mots qu’elle met en rimes. Images lumineuses. C. Kaeffer

  1. Pef La belle lisse poire du prince de Motordu,. Gallimard Jeunesse, 2009. Première lecture, 7 ans+

Le prince de Motordu n’a jamais réussi à parler comme tout le monde. Dans sa bouche, un château devient un chapeau et un drapeau, un crapaud. Quand arrive la délicieuse princesse Dézécolle… Un succès pérenne, un classique.

 

  1. Elsa Valentin, Ilya Green, Bou et les trois zours, Atelier du Poisson Soluble, 2008
    cf article Régis Lefort NVL227
  2. Michel Besnier, ill. Henri Galeron- Mon kdi n’est pas un kdo , Motus, 2008. 69 p. Poésie 9 ans+

Michel Besnier explore les courses au supermarché. Cette poésie du quotidien est amusante et tendre, c’est la vie de chaque jour, que l’on regarde ici avec une âme de poète, et l’on s’enchante et l’on sourit. Les illustrations d’Henri Galeron nous emmènent dans un voyage surprenant, drôle ou inquiétant aumilieu des rayons tout à fait surréalistes.CCS

  1. Dumortier, David- Cligne-musette : poèmes diminutifs et gymnastiques

Cheyne, 2008. (Poèmes pour grandir). Poésie à partir de 9 ans.

  1. Sylvie Baussier/ ill.Rémi Courgeon, De la tête aux pieds- et autres expressions sur le corps, Mango jeunesse, 2007, 9782 740422106, à partir de 8 ans

L’ouvrage rassemble et explique les nombreuses expressions françaises qui évoquent le corps humain ; il est d’ailleurs organisé comme une planche d’anatomie, la tête, les bras, le buste, les jambes, le corps extérieur et intérieur. Pas moins de 13 expressions autour de la tête sont passées en revue, et sur les 4 sur le sang la dernière sera «  son sang ne fit qu’un tour ». Pédagogique, bien fait.

 

  1. Yak Rivais et Michel Laclos – Les Sorcières sont N.R.V., L’École des loisirs, 2004. Roman à partir de 9 ans. D’amusants récits construits à partir de jeux de langage.
  2. Annie Molard-Desfour/Bénédicte Rivière/Ill. Blexbolex –De Vert de rage à Rose bonbon,

Albin Michel Jeunesse, 2006, 9-10 ans

Cet album a pour intention de « percer les secrets de 11 couleurs, repérer leurs nuances, découvrir leurs sens figurés et symboliques ». Le travail de Blexbolex contribue à la réussite du livre. Chaque double page est consacrée à une couleur explorée dans ses différentes manifestations. Les auteurs s’arrêtent aussi sur les significations associées aux couleurs dépassant ainsi la stricte explication d’expressions.BP

  1. Christine Beigel/Anne Simon -Ma langue à toutes les sauces,

Albin Michel Jeunesse, 2006, 11 ans

Petit livre de cuisine qui propose quantité de jeux d’écriture à la manière de ceux de l’Oulipo. Des exemples facilitent l’accès à des règles qui, si elles paraissent faciles à la lecture, ne le sont guère quand on passe à la réalisation ! A utiliser en atelier. BP

  1. Alain Le Saux – Ma maîtresse a dit qu’il fallait bien posséder la langue française. Paris, Rivages, 2006.

Des expressions prises au pied de la lettre par le dessin insolent d’Alain Le Saux. Fou rire garanti. Petites merveilles d’absurdité : connaître le sens figuré des expressions est, certes, utile en société, mais les prendre au pied de la lettre, dans leur plus simple appareil littéral, est infiniment plus savoureux…

  1. Sylvie Chausse/Dominique Maes- J’ai la pêche ! Tu as la frite, Albin Michel Jeunesse, Coll. Humour en mots, 2005, 10,90€- 2226156135. 8 ans

Cet album s’intéresse aux expressions comportant un nom de légume ou de fruit. Grand nombre d’entre elles méritent explication, comme sucrer les fraises ou manger les pissenlits par la racine pour rester dans un univers optimiste ! La mise en page est claire mais l’illustration n’apporte rien, elle se veut drôle avec insistance.BP

  1. Ponti, Claude- Blaise et le château d’Anne Hiversère, L’École des loisirs, 2004. Album 6 +

Les fameux poussins ont dix jours pour construire le plus « irrésistibilicieux » château pour la fête d’Anne Hiversère ! Des préparatifs au goûter, on assiste à un véritable feu d’artifice d’inventions de noms, de lieux, de savoir- faire et d’images pleines pages foisonnantes, extravagantes, hilarantes.CCS

  1. Anouk Ricard- Poèmes de terre, Rouergue, 2012. Poésie 9 +.

Un premier ver – de terre –, deux vers ensuite, « des millions de vers enfin/qui en rime s’exposent/ou en prose s’expriment » dans des décors de photomontage et pâte à modeler. Les vers grouillent, rêvassent, fanfaronnent et le lecteur s’amuse beaucoup : jeux avec les mots (« Ver laine »), avec les formes littéraires (palindrome, fables), avec le cocasse des situations…CCS

 

  1. Rolande Causse/Jean Claverie- J’écris des poésies, Albin Michel Jeunesse, 2004, -226129987. 11-12

Des poèmes à lire, des jeux pour en écrire : Rolande Causse s’appuyant sur son expérience d’animatrice d’atelier d’écriture propose ici des poèmes personnels pour guider de jeunes plumes. Les aquarelles de jean Claverie forment un cadre plein de douceur. BP

 

  1. Denys Prache/ill. Nicole Claveloux – Le dessous des mots

Albin Michel Jeunesse, 2003, 10,90€ -226141472. 11 ans

Eveiller la curiosité de l’enfant en regardant, de près, la formation des mots : cette approche ludique permet de voir combien les langues grecque et latine sont encore bien présentes dans le français. La maquette est d’une grande lisibilité et le trait humoristique de Nicole Claveloux souligne les combinaisons possibles des racines.BP

  1. Sophie Loubière/Olivier Latyk- Eléphanfare, Albin Michel Jeunesse, 2003 -9782226129826. 6-7 ans

Un album pour jouer, non seulement à créer des mots-valises mais surtout à imaginer les définitions. C’est inventif et drôle. L’illustrateur aussi s’est amusé !BP

 

  1. Serge Pinchon /ill.Hervé Coffinières, Mot pour mot Gallimard Jeun,2004, 9782070 559213, 11 ans+

Le mot, le sens. Ce livre vise à différencier des mots de sens proches, qu’on croit parfois synonymes et dont l’emploi permet de nuancer la pensée. Compagnon, camarade, copain, ami ? Timide ou pudique ? Mon frère est -il un mythe ou une légende dans son lycée ? Un canard sauvage ou barbare ?! Accuser son papa ou le dénoncer ?!… Les illustrations sont très intéressantes, modernes, le propos très pédagogique, fort peu ludique, mais clair. CCS

 

  1. Sylvie Chausse/ill. J-F Martin – Malin comme un singe, Albin Michel Jeunesse, 2003, 10,90€ -226140646.8-10 ans

Destiné à de plus jeunes lecteurs, cet album explique le sens et parfois l’origine d’expressions comportant des noms d’animaux. La mise en page aérée, dynamique est stimulante.BP

 

  1. Jean-Hughes Malineau/ill. Véronique Deiss, Dominique Maes- Les charades et les chats-mots,

Albin Michel Jeunesse, 2003, 9,90 – 9782226193452. 9-11 ans

Un vrai carnet de charade à garder dans sa poche pour la récré ou les longs trajets en voiture. Mieux que les charades carambar ! De même les chats-mots permettent de créer un bestiaire des plus fantaisistes que l’illustration révèle avec humour.BP

 

  1. Jean-Hughes Malineau/Emmanuel Kerner- Drôles de poèmes,

Albin Michel Jeunesse, 2002, 10,90 -9782226118592. 11-12 ans

Toutes sortes de jeux d’écriture sont proposés, des acrostiches aux calligrammes, onomatopées et tautogrammes. Les animateurs d’atelier d’écriture y trouveront des exemples. Les illustrations des doubles pages sont inégales, peu agréables à l’œil car de couleurs criardes. BP

  1. Michel Piquemal/Gérard Moncomble/Ill. Puig-Rosado- Le dico des mots rigolos,

Albin Michel Jeunesse, 1999. 9782226101273. 8 ans

Mystère de ces mots qui sonnent comme des plaisanteries. Nul besoin de savoir ce qu’ils veulent dire ! Les prononcer est suffisant ! Les illustrations pleines d’humour de Puig Rosado concourent au plaisir d’explorer ce dictionnaire loufoque. BP

  1. Alexis Tolstoï, Niamh Sharkey, Le gros navet, Flammarion Père Castor, 1999- 9782081609686, 3-6
    cf article MC Javerzat NVL227

 

  1. Linda Corazza, Chaussettes, Rouergue, 1999, 12 E, 9782841560394, album 2 ans,
    cf article MC Javerzat NVL227

 

 

  1. Linda Corazza, Oulibouniche, Rouergue, 1999, 11,90E , 78-2-84156-079-0, album 2 ans,
    cf article MC Javerzat NVL227
  2. Jean-Hughes Malineau/Pef – Dix dodus dindons

Albin Michel Jeunesse, 1997 – 9782226089960. 9 ans

Le trésor des virelangues françaises est une belle collaboration auteur/Illustrateur pour donner envie de jouer avec les sons, s’entraîner à une élocution claire et pour veiller à la transmission d’un patrimoine précieux. BP

 

 

 

Grammaire : autour de l’album Yakouba de Thierry Dedieu, Editions du Seuil Jeunesse, 1994.

Grammaire : autour de l’album Yakouba de Thierry Dedieu, Editions du Seuil Jeunesse, 1994.

L’intérêt particulier de l’album se situe en premier lieu dans la variation de l’énonciation :
– un première partie (pp. 4-9) au présent de l’indicatif, dont les valeurs sont diverses
– une seconde partie (pp. 10-19) à l’infinitif, temps qui, associé à la nature poétique du texte, prend des valeurs diverses également (a temporalité ou ancrage dans le moment de l’énonciation ou le moment de l’histoire)
– une troisième partie (pp. 20-33) au passé simple de l’indicatif, temps du récit, avec un dernier énoncé (p. 32) qui renvoie au moment de l’énonciation ; autre énonciation intéressante : le conditionnel de la p. 20 qui permet d’entrer dans une virtualité des pages 22 et 23 (représentant les yeux du lion dans lesquels Yakouba est susceptible de lire la pensée de l’animal).

Les pages 10-11 présentent un moment de bascule du texte ( “Il faut apporter la preuve de son courage, et seul, affronter le lion”) avec la formulation “Il faut”, celui qui permet de passer d’un type de texte injonctif à une sorte de discours narrativisé à l’infinitif (on pourrait éventuellement penser que l’expression “il faut” est en facteur commun pour employer une terminologie mathématique), et entrer dans le poétique (“se sentir rocher […] herbe […] vent […] eau”).

1. Lecture magistrale de l’album en omettant les pages de la deuxième partie. Distribution, dans 6 groupes de 4, des images de l’album dans l’ordre. Rédiger la partie manquante.
2. Mise en commun des productions et analyse. Vraisemblablement, le narratif devrait être privilégié (énonciation au passé simple/imparfait). Il s’agit alors, d’une part, d’analyser les choix énonciatifs dans les productions et les justifier en prélevant différents indices dans le texte (nécessité de définir également les valeurs du présent : de narration ? d’énonciation ? de vérité générale ? d’habitude ?) : action que les images représentent, il s’agit d’une initiation, il s’agit d’un jour particulier (répétition avec “C’est un jour de fête”, “C’est un jour sacré”, “C’est un grand jour”), puis lien avec le texte de la troisième partie pour laquelle les verbes sont au passé simple de l’indicatif, l’emploi du connecteur temporel et logique “alors” qui suppose que d’autres actions ont eu lieu auparavant, l’expression page 25 “lion épuisé” peut initier l’idée qu’il y a eu combat entre Yakouba et le lion, etc.
D’autre part, on confronte les productions au texte lui-même afin d’envisager les raisons pour lesquelles l’auteur a choisi ce type d’énonciation (dimension philosophique ou morale de l’histoire ; initiation qui peut se prolonger vers une initiation du lecteur). Il est possible d’envisager un tableau du type grille sémique à partir d’expressions qui seraient équivalentes (injonctif avec “il faut”, impératif, infinitif) en particulier pour dégager la valeur poétique liée à l’emploi de l’infinitif, temps du non-temps, de l’habituel ou du perpétué ; envisager à chaque fois la temporalité et le procès du verbe. On peut définir des sèmes pour chacune des expressions choisies afin d’affiner le sens.

Emetteur Destinataire Nature des propos

 

Se sentir rocher…

herbe… vent… eau

 

Multiple ou

indéterminé

Non identifiable

précisément

 

Multiple ou

indéterminé

Non identifiable

précisément

 

Poétique

Monologue intérieur

injonctif

Injonction

Il faut se sentir

rocher…

 

Non

essentiellement

déterminé mais

identifiable

Yakouba et tout autre

jeune qui sera initié

 

Injonction

 

Sens-toi rocher… Yakouba ou

émetteur

identifiable

 

Yakouba Monologue intérieur

 

3. Avec des élèves, il faudrait, selon l’axe déterminé pour l’étude, constituer une fiche outil “ouverte” que l’on enrichirait et qui permettrait par la suite de définir d’autres utilisations de l’infinitif. Dans tous les cas, le contexte est important, voire décisif. Il faut conclure que le choix énonciatif reste déterminant pour constituer le sens du texte (grammaire de discours).

 

Régis Lefort

A propos de l’album : « Je t’aimerai toujours », éd. des éléphants,2020.

A propos de l’album : « Je t’aimerai toujours », éd. des éléphants,2020.

Robert Munsch/ ill, Camille Jourdy /trad. angl  Ilona Meyer-  Je t’aimerai toujours
Les éditions des éléphants, 2020, 13,50  – ISBN : 978-2-37273-071-6

Je t’aimerai toujours est un ouvrage qui évoque le cycle de la vie humaine. Nous y suivons en parallèle l’évolution de la vie – de la naissance à l’âge adulte – d’un protagoniste ainsi que l’involution d’une existence – de l’âge adulte à la mort – de sa mère. A la croisée de ces deux destins, il y a l’amour : l’amour inconditionnel d’une mère envers son enfant d’une part et l’amour d’un fils envers sa mère d’autre part. Et pourtant, l’ouvrage montre également avec beaucoup d’authenticité que ces deux mouvements interreliés ne vont pas de soi et pointe cette tension, résolument humaine, qui veut que l’avènement d’une personnalité doive nécessairement représenter une subversion, des déceptions du côté des adultes… interrogeant ainsi la parentalité dans toute sa complexité.

Ce livre s’adresse aux enfants bien-sûr mais aussi à leurs parents qui pourront tirer grandement profit de la fiction. Pour les plus petits, Robert Munsch et Camille Jourdy soulignent l’importance de l’expression du désir individuel pour grandir, quitte à ce que ce dernier ne soit pas en adéquation avec les idéaux parentaux. S’individualiser, c’est expérimenter les limites de soi, ce n’est pas respecter aveuglément celles des autres. Paradoxalement, les limites imposées par les parents sécurisent l’enfant, l’aident à comprendre sa culture, les mœurs qui l’entourent et, si elles viennent à manquer, de lourdes conséquences peuvent apparaître. C’est également cette tension qui devrait permettre aux adultes de prendre conscience, d’une part du caractère nécessairement imparfait de leur parentalité et, d’autre part, que la culpabilité n’est pas bonne conseillère, quand bien même les médias regorgent de figures parentales physiquement et moralement parfaites.

Finalement, grandir et faire sa place, c’est à la fois s’inscrire dans un collectif mais également faire advenir un individu unique et, comme le montre cette œuvre, c’est l’amour qui permet que les deux cohabitent.

Entre la nature et la culture, l’Amour 

La première double-page de l’œuvre montre une jeune maman tenant son bébé dans les bras. La tendresse et la sérénité qui émanent de ce moment sont accentuées par l’ordre, les couleurs et la luminosité qui inondent la pièce de la maison. Quelques livres jonchent le sol et l’on peut imaginer que cette mère soit déjà en pleine incertitude concernant son rôle et qu’elle tente de trouver des réponses dans les théories éducatives piochées dans une multitude d’ouvrages scientifiques. Et pour cause : être parent quand on s’est éloigné de son « animalité », c’est s’installer dans un doute immense qui peut mener certains tuteurs à de profonds sentiments d’infériorité. En effet, aucun mode d’emploi parfaitement fiable ne permet de suivre un protocole parental. Il existe donc une tension, déjà palpable, entre la nature et la culture : pour le moment, les livres représentent la culture tandis que la nature est « emprisonnée » dans les tableaux accrochés au mur, les figurines d’animaux sur les étagères ou encore sous forme de peluche dans le lit à barreaux du bébé.

Enfin, côtoyant ces deux dimensions – la nature « emprisonnée » et la culture scientifique et théorique – il y a cette ritournelle qui reviendra sans arrêt dans le livre :

Aussi longtemps que je vivrai,
Toujours je t’aimerai.
Jusqu’à la fin des temps,
Tu seras mon enfant.

Cette comptine, comme une promesse faite à l’amour, est à la croisée entre la culture (chanter est un acte humain très important) et la nature (cet instinct très animal qui fait que chaque être vivant ferait tout pour ses enfants).

Rasséréné et serein, le lecteur tourne alors les pages suivantes et comprend tout de suite que les auteurs n’ont nullement l’intention d’enjoliver la réalité. En effet, on y découvre que le désir d’enfant idéal de la mère est mis à mal : le lecteur devient le témoin de l’avènement d’une personnalité qui expérimente et considère la vie humaine comme un grand laboratoire permettant d’emmagasiner des sensations, des émotions et des connaissances sur lesquelles s’appuyer pour croître. Les illustrations montrent ces expériences chaotiques sous la forme du désordre, de la désobéissance, de l’inclusion à un groupe de pairs… A chaque fois, la mère semble désespérée : elle n’avait pas imaginé que cela serait aussi complexe et elle n’hésite pas à dire que son enfant la rend FOLLE (écrit en majuscules), qu’elle le céderait bien à un zoo ou qu’elle a l’impression de vivre avec un animal. A nouveau, la nature et l’animalité sont convoquées à travers cette image du zoo. Les livres du début n’ont à première vue pas réussi à permettre une éducation plus sereine. A première vue seulement car en réalité, ce garçonnet est parvenu à devenir un homme, capable de prendre son envol, de fonder sa propre famille et surtout, apte à transmettre à son tour de la tendresse à son enfant et à éprouver de la gratitude envers celle qui l’a aimé de façon inconditionnelle, sa maman. Finalement, cette maman, dans ses apparents échecs tout au long de l’ouvrage, a pleinement réussi : elle a semé de l’amour chaque soir (la petite ritournelle qui revient à chaque fois) et, à la fin, son fils devenu homme en est devenu porteur à son tour, capable qu’il a été de trouver sa place dans une culture donnée sans sacrifier les parties nécessaires de son individualité. Il est donc question d’une transmission intergénérationnelle qui pose la question existentielle du juste milieu entre les dimensions collectives et individuelles qui nous habitent.

Grandir et éduquer : entre mise en conformité et avènement créatif 

Tout au long de l’ouvrage, une autre tension est prise en charge : il s’agit de l’ambivalence entre la mise en conformité des désirs et l’avènement d’une individualité unique et par définition asociale. La grande question sous-jacente est celle de l’identité : Qui suis-je ? Qu’ai-je hérité de mes parents et qu’ai-je inventé moi-même ?

Dans l’ouvrage, les éléments montrant les désirs divergents de la mère et de son fils prennent beaucoup de place. Mais il est également possible de mettre en évidence le mouvement contraire, c’est-à-dire celui consistant à reproduire des comportements ou des pensées de génération en génération. Les deux mouvements sont nécessaires mais à nouveau, c’est un juste milieu qui permet l’épanouissement de l’être. Si nous ne faisons qu’adhérer au désir de conformité de nos parents (et de la société), la partie créatrice de notre individualité va se mettre à hurler provoquant de lourds méfaits pouvant aller jusqu’à la maladie. A l’inverse, si nous sommes incapables de nous sentir limités, nous risquons une grande insécurité.
Ainsi, la répétition apparaît dans la dernière partie de l’œuvre : l’homme est devenu père à son tour. La tapisserie dans la chambre de son enfant est la même que celle qu’il avait quand il était petit chez sa mère. De plus, à la dernière page, c’est lui qui chante la chanson que lui chantait sa mère. Cette chanson est le symbole de ce secret que les humains se transmettent de génération en génération et il est très émouvant d’observer quand a eu lieu cette transmission dans le livre de Munsch et Jourdy : la maman, devenue vieille et malade est sur les genoux de son fils. Elle entame les premières notes de la chanson mais ne parvient pas à la terminer. C’est son fils qui prend alors le relais et termine le chant. L’amour s’est transmis d’un cœur à l’autre, n’est-ce pas cela la clé de l’éducation parentale ?

Les parents qui liront cette histoire à leurs enfants seront forcément renvoyés aux souvenirs de leur propre enfance lorsqu’ils disaient : « Quand j’aurai des enfants, je ferai l’inverse de ce qu’ont fait mes parents ». Ce sera alors l’occasion pour eux d’observer ce mystère humain qui cherche, expérimente, change, évolue… tout en gardant néanmoins la sensation d’être la même personne et de se reconnaître invariablement dans le miroir de l’enfance jusqu’à la mort. Il existe une asynchronicité permanente entre les générations. Cela peut poser problème mais, à nouveau, c’est l’amour qui cimente les relations en permettant à chacun d’exprimer ses besoins du moment sans annuler ceux qui les entourent.

Finalement, en accord avec ce que nous montre l’ouvrage, l’on peut affirmer que l’enfance est le temps de l’expérimentation, du détour. Parallèlement, l’adulte (qui a lui-même expérimenté cet état plus ou moins transgressif étant enfant), cherche maintenant à montrer ce chemin à ses enfants. Néanmoins, l’antagonisme des désirs nécessaire à la double contrainte d’avènement de l’individu dans un cadre collectif, empêche que la rencontre soit fluide et sereine. Et si l’on n’y prend pas garde et si l’on ne cherche pas plus loin que l’apparent conflit, l’on peut vite convoquer une troisième instance : la culpabilité. Heureusement, cette œuvre, parce qu’elle résonne avec bon nombre de réalités quotidiennes, est une véritable médication pour tenir cette instance éloignée des familles.

J’éduque donc je me trompe

Fort heureusement, cette œuvre ne s’inscrit pas dans le flot des images et des injonctions qui cherchent à faire de nous des parents parfaits et qui envahissent l’espace publique. En effet, les publicités, les magazines, les ouvrages « mode d’emploi » sur la parentalité et l’éducation regorgent d’une perfection inatteignable de laquelle seraient exclues toutes manifestations de colère ou de frustration. Il ne reste alors plus aux parents que la culpabilité de ne pas parvenir à être des parents sereins.

Dans Je t’aimerai toujours et malgré un titre semblant souligner seulement l’aspect positif de la parentalité, la colère et la frustration des parents ont droit de cité. La mère s’autorise à accuser son enfant de la faire devenir folle ; elle va jusqu’à souhaiter le vendre au zoo, le comparant à un animal, incapable d’être poli et bien élevé. Enfin, le livre souligne qu’il n’y a que quand l’enfant dort que sa mère lui témoigne son amour tendre. Combien de parents se retrouveront dans cette description ? Une grande majorité. Eduquer un enfant est complexe et réveille des émotions ambivalentes que la société de la performance ne prend pas du tout en charge. « Soyez de bons parents ! » voilà ce qu’intime la société sans donner d’indications supplémentaires mais en faisant suivre une publicité montrant des enfants heureux de posséder. Il n’en faut pas plus au cerveau humain pour en déduire très rapidement ce message : « Si je veux être un bon parent, je dois rendre mon enfant heureux et, pour cela, je dois lui acheter des objets ». A nouveau, ce message est extrêmement frustrant et culpabilisant car il annule toute la poésie contenue dans l’acte d’éduquer. Le sens est perdu et la beauté de la nature, si déstabilisante soit-elle, est reléguée au rang de bibelots sur une étagère ou de poster encadré au mur.

L’ouvrage ne se laisse pas abêtir par ce discours et, bien qu’il montre que posséder raisonnablement est souhaitable (avoir une sécurité matérielle : un logement ; partager des objets pour se sentir appartenir à un groupe : quand le jeune garçon joue au foot ou communique avec ses pairs…), il met surtout en avant la transmission inestimable que représente cette chanson. Aucun objet ne pourra remplacer cette transmission de cœur à cœur.

L’enfant qui lira ce livre comprendra également qu’il peut et doit se sentir autorisé à expérimenter dans les limites du respect et des règles qui l’inscrivent dans un collectif. Il ne doit pas culpabiliser de voir ses parents culpabiliser et surtout ne pas porter sur ses épaules ce fardeau que la société de consommation pourrait vouloir lui faire porter indirectement.

Conclusion 

Je t’aimerai toujours se fait le porte-parole du grand espoir que représente la vie. Avec douceur et poésie, mais sans omettre la nécessaire difficulté liée aux cycles d’évolution et d’involution qui se rencontrent lors de la vie humaine, l’ouvrage résonne profondément avec les vécus de parents qui sont confrontés à l’éducation de leurs enfants. Et, plutôt que de transmettre un message moralisateur qui prendrait le risque d’engendrer de la culpabilité, les auteurs font le pari de l’intelligence intrinsèque contenue dans les différentes dimensions de l’existence, qu’elles soient d’apparences positives ou négatives. Parfois, comme dans la démarche alchimiste, le plomb se transforme en or. C’est en tous cas vrai sur le plan psychique : du chaos nait l’ordre et cet enfant qui bouscule symboliquement sa mère est en réalité en train de construire un écrin intérieur, le plus accueillant possible pour le secret qu’elle va lui confier. C’est donc un ouvrage qui appelle la confiance en la vie. Elle ne répond pas à nos attentes à court terme mais qu’importe : elle fait son œuvre et au final, l’amour et la tendresse survivront à ceux qui les ont légués de leur vivant mais qui ne sont plus.

Julien LEDOUX, professeur d’école, docteur en sciences de l’éducation

Philosopher avec les enfants ? Notre panorama critique

Des collections jeunesse dédiées à la philosophie

Vous trouverez présentées dans NVL la revue 224 les collections suivantes :

  • philozenfants, Nathan
  • philozidées, Nathan,
  • les petits albums de philosophie, Autrement
  • goûters philo, Milan
  • philofolies, Père Castor Flammarion
  • chouette ! penser, Gallimard
  • les petits platons
  • éditions du Cheval vert.

Les collections ci-dessus sont présentées par Laurence Breton dans NVL la revue 224 p35

  • Philo et autres chemins, La joie de lire, est présentée par Jean Claude BONNET p 48
  • philo et citoyenneté, L’Initiale, est présentée par Janie COITIT GODFREY p.51

Nous ajoutons ici  les collections :

  • Philosopher ? aux éditions Le Pommier. Cette petite collection est sous-titrée Des livres pour déplier sa pensée. Michel Puech fonde chaque ouvrage sur un verbe : Marcher, Expliquer, Jeter, Vouloir …dont il déplie tenants et aboutissants. L’esprit picorera avec plaisir ces carnets à loger en poche, illustrés léger.
  • Philo, chez Oskar. Isabelle Wlodarczyk y propose un questionnement philosophique à partir par exemple des Fables de La Fontaine ou de l’Odyssée. Ainsi, complétant notre numéro précédent sur Les mythes grecs en littérature jeunesse, rappelons que ceux-ci sont particulièrement propices à des interrogations sur les grandes questions métaphysiques comme sur des thèmes sociétaux. Dans L’Odyssée d’Homère pour réfléchir, Ulysse quitte Calypso en refusant l’immortalité qu’elle lui propose, ce qui amène à poser la question : Une vie réussie est-elle forcément longue ? ou Circé qui transforme en cochons les compagnons d’Ulysse n’interroge-t-elle pas sur des débats de société actuels : L’homme est-il un animal comme les autres ?

Des ouvrages spécifiques

  • Ni oui ni non, Tomi Ungerer , L’Ecole des loisirs 2019
  • La morale ça se discute , Michel Tozzi, Albin Michel, 2014,
  • Questions de philo entre ados, Oscar Brénifier, Seuil  jeunesse, 2007
  • Le livre des grands contraires philosophiques, Oscar Brénifier, Jacques Desprès, Nathan, 2007
  • Le tonneau de Diogène, Françoise Kérisel, Magnard , 2006
  • Sagesses et malices de Socrate, le philosophe de la rue- Christian Roche, Jean Jacques Barrère, Albin Michel, 2005
  • Les philofables, Michel Piquemal, Albin Michel , 2003
  • Le livre des philosophes, Laurent Déchery, Gallimard jeunesse, 1998

 

Des albums et fictions

Œuvres de littérature jeunesse, albums, BD, romans, que nous conseillons comme support de réflexion philosophique. Vous trouverez dans NVL la revue 224 des analyses ou commentaires  de ces livres :

  • Livre de la Lézarde, Yves Heurté, Claire Forgeot , cf article de Claudine C Stupar, NVL 224 p15
  • C’était pour de faux, Maxime Derouen, cf article de Pauline Bestaven, NVL 224 p 43
  • Genesis, cf  article de Elise Ternoy , NVL 224 p54
  • Guerre ! Et si ça nous arrivait , article de Arnaud Lopinot, NVL 224 p56
  • L’affaire Tournesol, Hergé, Casterman 1956,
  • Le monde d’Edena, Moebius, Casterman 1988,
  • Thoreau la vie sublime, Dan et Leroy, Le lombard 2012,
  • Alice sourit, Jeanne Willis , Tony Ross, Gallimard 2002,
  • Grain d’aile, Paul Eluard, J. Duhême,
  • L’enfant qui ne voulait pas grandir, Paul Eluard, J. Duhême, Pocket 1999,
  • Peut être que le monde, Alain Serres, Chloé Fraser, Rue du Monde, 2015,
  • Ma liberté à moi , Tony Slack Morrisson, Gallimard 2003,
  • Histoire à 4 voix, Anthony Browne, Ecole des loisirs 2000 : les 9 ouvrages précédents sont présentés dans l’article de Florence Louis NVL 224 p10

 

  • Wolf Erlbruch, La grande question, Editions Etre, 2003
  • Fran Manushkin et Ronald Himler, Bébé, L’école des loisirs, 1972
  • Christian Bruel et Nicole Claveloux, .., Thierry Magnier, 2001
  • Anthony Browne, Mon papa, L’école des Loisirs, 2002
  • Anthony Browne, Ma maman, L’école des Loisirs, 2005
  • Martin Waddell et Patrick Benson, Bébés chouettes, L’école des Loisirs, 1992
  • Vincent Cuvellier, Christophe Dutertre, La première fois que je suis née, Gallimard jeunesse, 2007
  • Arnaud Alméras-Robin, Cet été-là, Editions Sarbacane, 2009
  • Anette Bley, Quand je ne serai plus là, Hachette, 2005
  • Cyril Hahn, Boubou et grand-père, Casterman, 2009
  • Claude Ponti, L’arbre sans fin, L ‘école des Loisirs, 1992
  • Olivier Douzou, jojo la mache, Editions du Rouergue, 1993 :

les 12 albums qui précèdent sont recommandés par Julien Ledoux , NVL 224 p19

Dans l’article p58  nous avons classé par thèmes les albums suivants:

  • L’infini et moi, Gaby Swiatkwska, Kate Osford, Le Genévrier 2017
  • Quand j’étais petit, Mario Ramos, Pastel 1997
  • Comme son ombre, Laurent Cirelli, Prune Cirelli, L’étagère du bas, 2018
  • Drôle d’oiseau, Reynolds, Davies, Le Genévrier,
  • Marlaguette , Père Castor,
  • Ami ami, Rascal ,
  • Eléphant a une question, Lee Vand’en Berg,Katje Vermeire, Cotcotcot 2018
  • Vieille Tortue et la vérité brisée, Douglas Wood, Jon Muth, Le Genévrier 2015
  • L’empereur et le cerf-volant, Jane Yolen, Ed Young, Le Genévrier, 2011

Et nous vous conseillons aussi :

  • Comment Wang fô fut sauvé des eaux, Marguerite Yourcenar,

 

Claudine Charamnac Stupar